Bonjour, je suis Joseph Mondésir, dit Tonton Jo. Je suis né à St-Laurent du Maroni le 13 août 1942 et je l’ai quittée à l’âge de 12 ans. J’ai deux filles et un garçon, Daniella, Sylvia et Jonathan. Je suis animateur de radio et célibataire. Il faut dire que je vis toujours comme un jeune, je ne vais pas me brider de quoi que ce soit. J’ai une mère handicapée, je reste avec la famille, je vis comme tout le monde mais je ne veux pas être esclave, depuis ma jeunesse j’aime être libre. Assez souvent, ça me gêne de voir que j’aurais dû être marié,mais avec l’âge je crois que je ne veux pas trop m’ensorceler avec quoi que ce soit. Je veux être libre de faire ce que je veux, de voyager, Paris, Martinique, Guadeloupe, en tournée, j’aime ça.
Peux-tu nous parler de tes origines ?
Ma grand-mère est de la Martinique, de St-Pierre, elle est arrivée après l’éruption et elle a eu ma mère à St-Laurent. A l’époque, elle faisait la lessive pour les gens de l’administration pénitentiaire. Elle a travaillé aussi pour la famille Fournier. Elle faisait aussi du colportage, elle allait vendre des choses sur le fleuve, et moi je suis né ici. Vers l’âge de six ou sept ans, il fallait rester sur st-Laurent pour aller à l’école, c’était l’école « La Gamelle » (actuellement Ecole Elysée Giffard), j’avais une directrice qui s’appelait madame Weimert.
J’ai grandi dans cette rue. A l’époque ma grand-mère qui faisait «colporteur », du commerce sur le fleuve, avait de l’or. Elle avait acheté une maison, il y avait quatre ou cinq chambres et elle habitait devant. Les après-midi, elle faisait des boulettes, des marinades, du sorbet et j’étais là avec elle, car il fallait que je travaille aussi. Alors avec mon walwari, je "ventais" le charbon, et les copains passaient, la bande à Couachi et elle leur disait:" i ka travay, i ka travay, zot ké pasé chèchéy pli ta !". C’est comme ça que j’ai été élevé dans cette rue, avec les Compper que j’ai connustrès jeune.
Quels sont les autres souvenirs que tu gardes de St-Laurent ?
J’ai eu le temps de voir le bagne, à l’époque j’allais à l’école et il y avait les bagnards dans les rues. J’ai connu un bagnard qui s’appelait Gabriel qui habitait là ou habite aujourd’hui Franck COMPPER. Avec le balata, il faisait de belles chaussures, des ceintures, des seaux, des bassines. Il était coiffeur aussi et les parents amenaient leurs enfants chez lui pour leur couper les cheveux, il était très sympa et il faisait des jobs à droite, à gauche. Il s’occupait même des maisons lorsque les gens partaient à Cayenne, c’est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas ce qu’il y a aujourd’hui, mais il passait de temps à autre voir si tout allait bien. Tout le monde l’appelait Gaby.
Ma mère m’a eu à 17 ans avec un douanier qui s’appelait Hector JUNIEL, mais je ne porte pas le nom de mon père parque c’était un homme marié. A l’époque, il paraît qu’à St-Laurent il ne fallait pas faire un enfant noir car on était très mal vu par les gens d’ici qui étaient très bourgeois. Mon père était noir et ma mère n’a pas voulu que je porte son nom. Finalement ils sont partis à Cayenne et m’ont laissé à ma grand-mère quand j’avais deux mois. A l’âge de dix ans, ma grand-mère a voulu me faire connaître ma mère car à l’époque il n’y avait pas de téléphone pour qu’on s’appelle. Elle a donc vendu sa petite maison à M. FELL, dont on disait qu’il était très riche car il avait de l’or. Il venait souvent chez ma grand-mère qui avait aussi ce qu’on appelait un petit loulou, où on pouvait manger le blaff et elle lui a proposé d’acheter la maisonnette. Donc on est parti. Il n’y avait pas de route pour aller à Cayenne, c’était l’avion, qui était plutôt réservé aux gens riches, ou le bateau. Il y avait trois bateaux qui faisaient le va et vient, Marie-Alice, Penta et Nina, et nous on a pris le Penta. Je crois qu’on a pris une semaine parce qu’il fallait attendre la marée perdante ou montante pour voyager. Ce qui m’a marqué en arrivant sur le grand quai Tanon, à Cayenne, c’était des trucs noirs sur la vase qui ressemblaient à des poulets. Alors j’ai dit à ma grand-mère : "Kouman ? Moun la pa ka rentré poul li a lè ta la, i ja pres 5 heures !", car à St-Laurent, les gens qui avaient des poulaillers avaient l’habitude de rentrer leurs poules vers 5 heures. Alors ma grand-mère me dit : " yo pa ka aplé sa poule, yo ka aplé sa corbeau !". Mais moi je n’avais jamais vu de corbeaux à St-Laurent !
Pour moi, les personnes âgées sont des gens qui apportent quelque chose aux jeunes et partout où je vais, je les salue d’abord, je parle d’eux avant de parler des autres. J’ai eu une très belle jeunesse, à l’époque, on était beau, on était propre, courtois, pas mal élevé. Je ne veux pas critiquer l’évolution, que voulez-vous, il faut accepter le temps ! A mon époque, il fallait avoir 21 ans et quelques mois pour être libre ; quand je suis parti de chez ma grand-mère, j’avais déjà 22 ou 23 ans. J’allais faire mes petits coups à droite à gauche avec des femmes, mais je rentrais à la maison, je n’allais pas dormir dehors. J’étais déjà chanteur, et elle me demandait :"Ki lè ou ka fini chanté chantéw la ?". Alors je lui disais :" Je rentre à minuit" et il fallait que je sois là à minuit, pas à minuit et demie, car elle disait que "dé males krab pa ka rété adan an mem trou". C’était dur ! Et même si j’avais chanté le soir, il fallait que je me réveille le lendemain à 6h du matin, "pa laissé soley lévé asou lombril ou" !
Donc les personnes âgées, pour moi, nous apportent beaucoup, il ne faut pas les laisser partir avec leurs souvenirs de choses que nous n’avons pas vécues, avec des secrets. Dans ma chanson « Chouchwel », je parle des matados, des têtêches, des nennen batenm, de choses que nous n’avons pas connues. Mes chansons sont des messages pour que les jeunes se retrouvent, pour ne pas perdre la tradition.
Bizarrement, je n’ai toujours pas compris, parce qu je suis quelqu’un de très timide. Je ne sais pas comment la musique est venue dans ma vie. Je me rappelle que quand j’avais entre 14 et 16 ans, ma grand-mère avait un phonographe : on mettait un disque à 78 tours et on tournait une manivelle, mais elle ne le sortait de son armoire que pour les grandes fêtes, Pâques, Noël et mardi gras pendant le carnaval. Elle avait 5 ou 6 disques, Tino Rossi et d’autres du même genre, c’est là que j’ai compris que la musique était en moi. Lorsqu’elle ne voulait pas que j’aille traîner, elle me disait :"Si ou byen travay, mwen ka mété phono a dèro", alors je travaillais bien à l’école, je faisais tout à la maison et les après-midi, elle sortait le phono. Et un jour, pendant la fête de Cayenne, les copains qui venaient chez moi et qui savaient que j’aimais chanter, ont donné mon nom à M. Prévost, qui était animateur présentateur, pour le radio-crochet. J’ai donc entendu mon nom et les copains m’ont poussé à y aller, c’est comme cela que j’ai commencé à chanter.
Es-tu auteur et compositeur de tes chansons ?
Je suis auteur compositeur. La première chanson que j’ai écrite, c’est « Venez à nous », avec Germain BARBE et les Vautours en 1964, "Mes copains, mes copines, venez tous aujourd’hui…". Ma deuxième compositition, c’est « St-Laurent » : "Mo loin di to mé mo pé ké pé blié to…", et c’est parti comme ça. C’était souvent de petites compositions qui n’avaient pas beaucoup de paroles. La dernière chanson que j’ai écrite avec Cornélia BIRBA, c’est « Chouchwel », avec Pierre SERVIN, parce que je ne connaissais pas l’histoire des matados, des têtêches, …ect. J’ai trouvé la mélodie, et puis Cornélia m’a donné son coup de plume, M. SERVIN nous a aidés et ça a donné « Chouchwel », mais j’ai toujours composé seul.
Je suis un artiste qui bouge avec plusieurs musiciens, je n’ai de contrat avec quiconque et je suis à la disposition des jeunes, des gens qui veulent travailler avec moi. Depuis quelques mois, depuis le mois de janvier, j’ai commencé à travailler avec l’orchestre qui a joué avec moi hier soir, « Les Graj'karo » parce que je me suis rendu compte que le play-back, c’est bien beau, c’est rapide mais quand tu as un orchestre qui travaille avec toi, qui interprète tes morceaux exactement comme il le faut, il vaut mieux rester avec lui. Donc je travaille mes compositions avec « Les Graj'karo », je bouge avec eux et nous allons peut-être quitter Cayenne pendant les vacances parce que j’ai un contrat sur Paris. Pas mal de musiciens ne savent pas encore si ils pourront bouger, vu leur travail, mais en principe nous avons ce contrat pour le mois d’août.
Sinon, j’ai joué avec plusieurs orchestres à Cayenne mais je ne vais pas les citer pour ne pas en oublier.
Combien d’albums as-tu à ton actif ?
Pour le moment, j’ai sorti 7 albums.
Ah ! Ca, c’est une colle ! Je ne veux pas trop me vanter, mais j’aime tous mes morceaux. A chaque album, je fais 3500 CD, juste pour la Guyane car je ne fais pas de promotion ailleurs, et en trois ou quatre semaines, tout est vendu.
Je crois que celui qui a le plus marqué les gens et surtout les jeunes, c’est « Domino » et il y a aussi « Aboubou ». D’ailleurs, au sujet d’«Aboubou », c’est au moment de la venue de Chantal Goya en Guyane que je me suis rendu compte que les enfants attendaient quelque chose de nous, les artistes guyanais. Alors je me suis dit pourquoi ne pas écrire quelque chose pour eux? Je me suis mis à fouiller les bouquins et j’ai trouvé celui de M. Michel LOYER, et M. TINAUT, de St-Laurent m’a donné un grand coup de main pour cette chanson. C’est lui le premier qui m’a raconté l’histoire de Compè Macaque et Compè Lézard. A l’époque je faisais une émission à la radio, « Contes et légendes » et il m’a raconté cette histoire. Quelques semaines plus tard, je l’ai trouvée dans le livre de M. LOYER « Contes et légendes de Guyane », et j’ai écrit « Aboubou ».
J’ai un copain qui s’appelle Serge MATAR, c’est mon coiffeur et il était animateur sur une radio qui s’appelait RAS. Un jour, il m’a invité pour parler de ma carrière et les gens ont commencé à appeler, à participer avec nous, alors Serge m’a proposé de faire une émission sur RAS. Je me suis dit pourquoi pas, et j’ai commencé timidement, c’est parti comme ça. Je faisais une émission en créole guyanais, je racontais des histoires en créole, je faisais venir des personnes âgées pour nous raconter la Guyane d’antan.
A RFO, j’avais ma commère Jacqueline GIFFARD qui a baptisé l’une de mes filles. Comme Régine HORTH partait à la retraite, que Raymond CHARLERY qui faisait des émissions en créole partait aussi, Jacqueline m’a appelé et m’a proposé de venir à RFO car ils avaient absolument besoin d’un créolophone. J’ai donc accepté, ils m’ont montré le travail et ça a commencé doucement. Bien sûr, les gens ont critiqué car ce n’était pas évident de remplacer Régine HORTH, qui avait marqué la Guyane avec son émission, ni Raymond CHARLERY avec son émission « Echos de Guyane », ce n’était pas moi qui allais arriver pour remplacer ces personnes-là ! Mais je suis resté, j’ai tenu le coup, toujours avec les encouragements des personnes âgées, les gens me donnaient des histoires, venaient dans mon émission et finalement, je me suis intégré comme ça. Par contre comme ma grand-mère ne parlait pas le créole « mo di to », moi je le parlais seulement un peu avec les copains. Il me fallait donc apprendre le créole guyanais : alors j’allais chez M. Daniel MASSE, qui n’est plus, et il y avait aussi M. Pierre SERVIN qui me parlait en créole guyanais pour me faire apprendre. Je suis allé chez Madame Floriette METHON ou chez Man Vévé à Mana, j’ai passé comme ça 2 ou 3 mois à apprendre le créole guyanais.
Je fais un peu de sport, j’ai des amis qui viennent me chercher et on court. Je suis né en 42 et il faut dire que je suis encore en pleine forme, alors les gens me demandent : "Ki produit to ka mangé ?". Je ne me maquille pas, je me nettoie le visage, je n’aime pas la barbe, j’aime être bien coiffé, j’ai été élevé comme ça et Dieu merci, je garde encore un peu de fraîcheur. Et pourtant, je suis fumeur, mo ka bwè mo ti punch kon tout moun, mais je vis bien ! Jene suis pas quelqu’un qui pleure, je vis librement, sans problème. Bien sûr, j’ai des problèmes comme tout le monde mais ils ne restent pas gravés là, je suis lion et les lions, si tous sont comme moi, on ne reste pas sur un problème.
Je fais partie de l’« Association des jeunes de la Crique » où je suis presqu’animateur et conseiller pour les jeunes. Je suis également avec les jeunes de Mirza, surtout pour le carnaval. Je suis très demandé par les jeunes, je les reçois souvent chez moi pour leur donner des conseils.
Tout d’abord, un grand coup de chapeau à la municipalité de St-Laurent du Maroni. Je sais qu’il y a des hauts et des bas, mais c’est l’évolution, il faut que nous acceptions les choses ; il y a des agressions, des vols, mais c’est partout pareil, c’est l’évolution qui le veut, on voulait l’évolution, nous l’avons eue ! Parce qu’avant, on disait :"St-Laurent tro piti, y pa ka évolué !", c’est comme à Cayenne, on voulait l’évolution, il fallait s’attendre à tout ça. Avec l’évolution, les jeunes sont majeurs à 18 ans, cela ne devrait pas être car à 18 ans, on est encore un enfant. A cet âge-là, on prépare un diplôme, un bac, un CAP, mais ensuite on en fait quoi ? Il est accroché au mur de ses parents, on a des diplômes mais on ne peut rien faire. Il faut bouger, aller ailleurs, sur Paris, sur la Martinique pour trouver des débouchés, on ne peut pas vivre chez soi.
Alors, ce que je peux dire, c’est félicitations à la municipalité de St-Laurent, parce qu’à chaque fois que je viens, je suis enchanté de voir l’évolution de ma ville. Donc félicitations aussi aux gens de St-Laurent et ce que je peux dire aux jeunes, c’est "pa imité" parce que " imité ka détenn". Aujourd’hui, je trouve qu’il y a beaucoup trop de laisser aller, le bleu-blanc-rouge nous a mis dans des tracas que nous ne pouvons pas assumer. On fait de notre mieux pour porter le vert-jaune-rouge- soit disant mais on est toujours Français et il faut l’accepter comme ça, c’est dommage !