Interview

Clémence NORKA, Présidente de la Ligue de tir de Guyane.

Arrivée il y a presque 29 ans à St-Laurent pour un remplacement de 3 mois, Clémence NORKA n’en est jamais repartie et y a fait sa vie. Sportive dans l’âme depuis sa plus tendre enfance et plus attirée par les ballons que les poupées, au grand dam de sa mère, cette cayennaise a pratiqué de nombreux sports depuis ses premières parties de football sous le marché du boulevard Jubelin. Au fil des années et des compétitions, elle a arpenté tous les types de terrains pour finir par arriver au tir qu’elle a adopté. Aujourd’hui présidente de la Ligue de tir de Guyane, Clémence la battante jette un regard, pour le 97320.com, sur le chemin qu’elle a parcouru, tout en clamant haut et fort qu’elle n’est pas prête de s’arrêter.



Photos: M.Norka
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Bonjour Clémence, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je suis Clémence NORKA, enseignante depuis bientôt 29 ans à Saint-Laurent. Je suis mariée et ai 2 enfants.

Depuis quand vivez-vous à Saint-Laurent et comment êtes-vous venue vous y installer ?

Je suis à Saint-Laurent depuis 29 ans et je suis arrivée pour y faire un remplacement de 3 mois, et jusqu’à maintenant j’y suis et je m’y plais.

Vous avez toujours été sportive, quels sont les sports que vous avez pratiqués ?

Les sports, j’en ai beaucoup pratiqués, sans l’autorisation de ma mère parce qu’elle ne voulait pas, elle ne comprenait pas pourquoi une fille courrait avec un ballon tout le temps avec les garçons. Et surtout, elle ne comprenait pas que je fasse du sport, ce n’était pas normal pour une fille. J’ai commencé par le football, avec les garçons sous le petit marché du Boulevard JUBELIN avec mon frère, et ensuite j’ai fait du rugby, beaucoup de basket, du hand. Arrivée à Saint-Laurent, j’ai pratiqué encore du basket avec les jeunes d’ici et d’autres plus âgés que moi, et j’ai fait du karaté pendant un moment avec Monsieur SURLEMONT. Et ensuite je suis arrivée au tir.

Photos: M.Norka
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[Parlez-nous de l’époque des « Dures à cuire »
L’époque des « dures à cuire », ça c’était une fameuse époque ! On avait regroupé avec Mme CHARLEY, enfin les sœurs TINAUT, presque toutes les anciennes joueuses de basket de Saint-Laurent, afin de créer une équipe de femmes. Nous avons cherché un nom et nous avons atterri sur les « dures à cuire », et ça nous permis de battre pas mal de jeunes parce que nous étions vraiment dures à cuire, avec l’expérience ça a bien marché, c’est dommage nous avons arrêté. C’est dommage mais c’est comme ça à Saint-Laurent.

Vous êtes présidente de la ligue de tir de Guyane, en quoi consiste votre fonction ?

Avant d’être présidente de ligue, j’ai été présidente du Cosma tir pendant plus de 14
ans et j’estime que j’ai amené le Cosma à un bon niveau, à une bonne place au niveau du tir guyanais. J’ai arrêté la présidence l’an dernier parce que ça commençait à me peser et parce que j’ai d’autres ambitions pour le tir guyanais. Donc je pensais me présenter à la Fédération Française de Tir et j’ai fait le choix de quitter la présidence pour poser ma candidature.

Qu’est-ce qui vous a poussée à endosser cette fonction ?
Parce que j’estime qu’il n’y a pas beaucoup de guyanais qui ont de l’ambition et c’est ce qui me freine, parce que j’entends toujours les guyanais critiquer mais ils ne veulent pas prendre de responsabilités. La preuve en a été lors de mon remplacement au Cosma tir, tout le monde critique mais personne ne prend de responsabilités, et qui a pris ma place ? Ce n’est pas un guyanais ! Je ne veux pas dire du mal des antillais ou des métropolitains, mais du manque d’ambition et de motivation du guyanais. Ils n’hésitent pas à s’investir, on trouve toujours du monde qui s’investit, mais ils ne veulent pas prendre de responsabilités dans le pays. Avant d’être présidente de la ligue, j’étais vice-présidente presque 8 ans et ensuite j’ai été élue présidente de la ligue régionale en 2000. Jusqu’à aujourd’hui, j’en suis satisfaite, et quand ça ne me plaira plus, j’arrêterai.

Photos: M.Norka
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Quelles sont vos priorités en tant que présidente ?
En tant que présidente, les priorités sont les jeunes, la formation de nos tireurs, les pousser à prendre des responsabilités et à faire monter le tir guyanais au plus haut niveau.

Le fait d’être à Saint-Laurent ne vous gêne-t-il pas ?
Oui ça pèse, parce qu’il y a beaucoup de kilomètres, et notre ligue est très éclatée puisque j’ai des membres un peu partout, Cayenne, Kourou, Remire-Montjoly, Matoury, Saint-Laurent. Depuis janvier 2006, nous avons transféré le siège de la ligue à Saint-Laurent, donc cela me fera peut-être faire quelques petits kilomètres en moins. Mais comme ils sont presque tous hors de Saint-Laurent, ça ne sera pas évident de tout gérer. C’est très difficile mais ça ne me gène pas, s’il y a un problème je me déplace et justement, il y en aura toujours qui en profitent pour dire que je ne suis jamais là, que je suis toujours absente parce que je fais autre chose dehors. On ne peut pas empêcher ça à Saint-Laurent, c’est « radio djol ».

Comment êtes-vous venue à pratiquer ce sport ?
J’ai toujours fait des compétitions. C’est mon mari qui était au club de tir « l’Arquebuse » de Saint-Laurent, du temps de Monsieur EVERS ; il payait sa cotisation tous les ans et il n’y allait jamais. Cela m’embêtait de voir le trésorier venir tous les ans et un jour, j’ai demandé s’il était possible que je le remplace. Il m’a répondu qu’il n’y avait pas de problème et est donc venu me chercher un dimanche. Il m’a montré comment manipuler une arme, comment viser et tirer. A cette époque, j’avais peur des armes puisque chez moi, il n’était pas question de toucher à une arme, il n’y en avait pas chez mes parents. Lorsqu’il m’a vue tirer, il a estimé que j’avais les capacités car je restais dans la cible dès la première fois; il m’a demandé si çcela m’intéressait de faire de la compétition. Je lui ai répondu non, parce que je n’avais plus envie de faire de sport collectif: lorsque l’on attend sur les autres pour avancer, ils ne sont pas toujours prêts, quand on attend pour s’entraîner, on se retrouve à une ou deux personnes... donc c’était bon, je n’avais plus envie d’avoir du monde à traîner derrière moi. Il en a parlé au président qui est venu me voir tirer le dimanche suivant: là, ils m’ont fait leur grande leçon, qu’ils avaient besoin de femmes dans le club et j’ai fini par me laisser convaincre. Ça n’a pas été difficile d’ailleurs parce que c’était pour faire des compétitions et j’ai signé ma première licence en décembre 1989 !

Photos: M.Norka
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Quelle est la place actuelle du tir dans le paysage sportif guyanais ?
Vous entendez tout ce qui se passe en ce moment avec la violence et tout le reste. Cela nous porte préjudice parce que beaucoup pensent que la pratique du tir fait de nous des gens violents, il y a des armes donc c’est mauvais. Je ne peux pas dire que nous ayons une très bonne image, mais ce que tiens à dire, c’est que le tir sportif se porte bien. Nous avons des résultats à certains niveaux, nous avons des jeunes qui commencent à sortir de leur école de tir et à faire des compétitions à l’extérieur. C’est déjà pas mal et je pense que nous aurons des résultats dans les années à venir, puisque la ligue tient à ce que les tireurs soient formés. J’essaie de toutes mes forces de faire passer des examens aux récalcitrants pour avoir des cadres. Ce n’est pas facile parce que nous n’aimons pas apprendre, nous n’aimons pas passer des examens, c’est notre défaut, les guyanais, et après on se plaint que les autres prennent notre place ! On croit que tout arrivera sans effort.

Pouvez-vous nous parler du grade d’Officier de l’Ordre fédéral du mérite que vous a décerné la Fédération ?
C’est pour récompenser mon travail, parce qu’ils se sont bien rendus compte que j’en veux et que je suis bien partie pour arriver plus loin, je ne sais pas où, mais je voudrais que lorsque l’on parle du tir, on parle de la Guyane aussi.
J’étais déjà Chevalier de l’Ordre fédéral du mérite depuis 1999 et depuis le 22 janvier, je suis Officier de l’Ordre fédéral du mérite. C’est dommage, il y a beaucoup de personnes qui ne se rendent pas compte de la valeur de cette décoration.

Photos: M.Norka
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Le tir est-t-il un sport que n’importe qui peut pratiquer ?
Pas n’importe qui ! Il faut d’abord être bien dans sa tête. Le tir, c’est une école de discipline parce qu’il faut beaucoup de sacrifices, c’est un sport ingrat : on peut être en pleine forme, en bonne condition physique, avoir le mental; on s’entraîne et on se dit qu’on est bien et qu’on fera une bonne compétition, mais il suffit d’un rien, et c’est toute la compétition qui se termine. Si on n'a pas un mental d’acier, si on n'a pas travaillé son mental pour se remettre dans son match, c’est fini. On peut continuer, car on ne va abandonner une compétition, mais on sait que c’est fini, ça ne pardonne pas.

Avez-vous d’autres loisirs ?
Maintenant plus beaucoup, parce que je me prive, je peux même dire que je me sacrifie pour mener à bien tout ce que je fais. Et je suis exigeante, quand j’entreprends quelque chose, il faut arriver au bout et bien faire. Malheureusement ça n’arrive pas toujours, mais je tiens à ce que ce soit bien fait, donc je me prive au lieu d’aller danser, comme par exemple pour le carnaval, à part une galette à Mana. Pourtant j’aime danser, m’amuser, j’aime être avec les jeunes, les personnes âgées… Je côtoie beaucoup de personnes, je suis la personne de tout le monde, je parle à tout le monde, je rends service, c’est pour cela que je suis toujours prise, parce que je suis par monts et par vaux.

Photos: M.Norka
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Pour arriver aujourd’hui à ce résultat que l’on peut estimer très satisfaisant, avez-vous bénéficié de l’aide et du soutien de certaines personnes ?
Bien sûr, parce que toute seule je n’aurais pas pu arriver à ce niveau ! Beaucoup de personnes m’ont fait confiance. Le premier a été l’ancien président du club de tir de st-Laurent, Monsieur EVERS : ils m’ont élue présidente du club alors que je n’étais même pas en Guyane, j’étais à l’hôpital en Martinique. C’est une chose qui ne pouvait pas se faire sans mon avis et sans ma présence. Pourtant, ils l’ont quand même fait car ils ont compris que j’étais une personne à prendre. Depuis, je ne peux pas dire que je n’ai pas d’aide, j’ai même le soutien des personnes âgées ainsi que celui de mon mari, qui me permet de faire beaucoup de choses ; s’il me disait non, j’aurais été coincée, je n’aurais pas pu avoir toutes mes activités. Mais il a accepté que je le fasse, parce que ça me permet d’évoluer et ça lui fait plaisir de me voir monter, car je ne viens pas d’une famille aisée, je ne suis pas celle qui a eu tout suite la cuillère d’argent à la bouche : ma mère n’était qu’une simple petite revendeuse au marché, elle a beaucoup souffert pour m’élever, je suis la dernière d’une famille de 4 enfants et je n’ai pas toujours eu ce que voulais. Donc je suis partie de bas et je grimpe petit à petit, et comme on dit : avec patience et volonté, on arrive à faire beaucoup de choses.

Photos: M.Norka
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Votre métier de professeur fait que vous êtes en contact permanent avec les jeunes, souhaiteriez-vous leur transmettre un message ?
Je parle toujours à mes élèves et d’ailleurs ils trouvent que Madame NORKA est "chiante", toujours à dire qu’il ne faut pas faire ça, qu'il faut le faire autrement.
J’aurais aimé que la mentalité change, que les gens ne soient pas toujours à se dire « moi le premier ». Il faut que les jeunes prennent conscience qu’ils doivent vivre main dans la main et ne pas se laisser entraîner dans la violence. Il ne doivent pas avoir toujours envie de tout ce qui se passe autour : beaucoup de choses à la télévision, les magazines, les rues, et ils veulent avoir l’argent facile et toutes sortes de choses. Je le vois avec mes élèves, ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais lorsque je vois ce qu’ils portent, il faut avoir des sous pour payer tout ça ! Donc il ne faut pas que les jeunes veuillent tout ce qu’ils voient, mais qu’ils se mettent dans la tête qu’il faut travailler pour réussir, parce que la vie n’est pas facile et ce n’est pas toujours rose.

Mardi 14 Mars 2006
Rédaction

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