Je m’appelle Serge TISSERAND, j’ai 56 ans. Mes parents sont originaires de la Martinique, mais je suis né à Cayenne et je suis actuellement professeur d’éducation physique au Lycée Bertène Juminer. Je suis à Saint-Laurent depuis 25 ans maintenant, je vis maritalement et j’ai 4 enfants dont 3 filles et 1 garçon.
Comment est née ta passion pour les combats de coqs ?
Ma passion me vient de mon père, c’est lui qui m’a inculqué toutes les choses de la vie : la pêche, la chasse, le sport, les combats de coqs… A neuf ans, j’allais déjà dans son écurie pour observer, et c’est à l’âge de 14 ans qu’il m’a autorisé à commencer l’entraînement proprement dit, et depuis le virus ne m’a jamais quitté.
Je suis aussi un passionné de pêche, de chasse mais un peu moins à cause de l’âge, car le transport des animaux devient pénible. J’étais également un passionné de sport, maintenant beaucoup moins, néanmoins je continue par la pratique professionnelle.
La pratique sportive, qui elle aussi m’a été transmise par mon père. J’ai pratiqué le basket, et on me trouvait bon parait-il, mais moi je me trouvais trop petit, donc je me suis orienté vers le foot. J’ai fait toute ma carrière au Club Colonial de Cayenne, on a remporté plusieurs titres. J’ai ensuite fait de l’athlétisme, j’ai été champion de Guyane du saut en longueur cadet, vice champion de Guyane du saut en longueur en junior, et j’ai détenu un record en 4x100m qui est resté seize ans. J’ai poursuivi dans le foot jusqu’à ce que je parte en métropole pour 5 ou 7 ans et j’en suis revenu moins performant. J’ai été entraîneur du Sport Guyanais, je suis ensuite venu sur Saint-Laurent où j’ai entraîné les différentes équipes avec un bonheur mitigé, et j’ai entraîné également l’équipe de Mana pendant quelques années. Je me suis petit à petit retiré de la vie sportive…
Est-ce que la pratique du combat de coq est autorisée par la loi ?
Non, dans la loi française elle n’est pas autorisée, mais comme cela se pratique depuis le début du siècle, il y a un décret pour les Antilles et la Guyane, qui l’autorise, sous forme de manifestation folklorique (Voir galerie photo). Mais ces manifestations sont amenées à disparaître car la loi autorise les tenanciers de gallodromes (pits) à pratiquer jusqu’à leur mort, mais personne ne peut reprendre leur succession, donc automatiquement avec le temps ça disparaîtra. Par exemple celui-ci qui appartient à monsieur LEON Jean-Marie, mais à sa mort, les fils LEON pourront pas lui succéder (rires).
Oui bien sûr, il y a un cas de conscience qui se pose quand on y réfléchit un tout petit peu, et lorsque je dépasse le stade des combats de coqs, je me dis que tout homme a une part d’agressivité en lui. Je pense pour ma part que je canalise cette agressivité dans les coqs, car l’homme est un peu orgueilleux, il veut dominer et comme il ne peut pas agresser quelqu’un physiquement, il transmet tout cela au coq afin qu’il lui ressemble. En ce qui concerne les âmes sensibles, et si on veut rentrer dans un domaine un peu plus poussé, là où certaines personnes disent :« c’est cruel », ces mêmes personnes, on les retrouve en tête de manifestations pour tenter de dominer d’autres êtres humains comme eux. Alors, pourquoi ces personnes-là ne se battent pas pour arrêter les différentes guerres dans le monde, afin que toute forme d’agressivité disparaisse de la terre ? De cette manière, tout naturellement, moi aussi j’arrêterais les combats de coqs.
Comment réagis-tu lorsque l’un de tes coqs meurt dans un combat ?
Au tout début, n’ayant que quatre ou cinq coqs, il y a l’affectivité qui nous lie, il y a un ressenti, quelque chose de douloureux. Maintenant c’est différent, j’ai cinquante-sept coqs en préparation, donc on n’a plus le temps d’avoir une très grande affectivité pour les bêtes, même si il y a toujours un petit pincement. Mais c’est plus son amour propre qui en prend un coup que la bête en elle-même. Le coq fait un dernier combat glorieux, il se bat avec les honneurs.
Tout est une organisation dans la vie. En ce qui concerne les coqs, je me lève à 4h30 et je m’en occupe jusqu’à sept heures du matin, le midi également, et en rentrant du travail. En ce qui concerne ma vie de famille, c’est vrai que cela pose quelques problèmes, car vous ne donnez pas à votre conjointe ni à vos enfants toute l’attention que vous devriez. Maintenant, dès le départ, j’ai informé la personne avec qui je vis du fait que j’avais cette passion, et elle l’accepte plus ou moins. Comme toute chose, je m’aménage des temps de repos, des temps où je me consacre à ma famille. La meilleure des choses, c’est d’intégrer votre famille à votre passion. D’ailleurs, j’ai une fille qui s’intéressait en partie, le garçon beaucoup plus, mais je ne souhaite pas qu’il pratique cette activité, car c’est une forme d’esclavage.
Pourquoi un esclavage ?
C’est une forme d’esclavage car le coq, il faut s’en occuper 365 jours sur 365 jours, tandis qu’une passion comme la pêche, on peut rester sans y aller pendant plusieurs mois. On pourrait penser que l’on ne peut jamais partir nulle part, et bien je dirais que oui, il faut pour cela avoir un ami qui partage la même passion que vous, afin qu’il s’en occupe pendant votre absence. Cependant, c’est vrai qu’il faut tout de même mobiliser quelqu’un.
Le jeu sûrement, car je suis joueur, taquin, dans le sens où je veux dominer mon adversaire, mais c’est surtout pour le coté sportif. Quant à l’argent, sûrement pas, car dans les combats de coqs, je ne connais personne, en particulier en Guyane, qui puisse s’enrichir de cette façon. De plus, on dépense beaucoup plus que l’on ne gagne. Non en définitive, c’est plus la passion, le fait d’avoir les meilleures bêtes, capables de gagner toutes les autres.
Jusquà combien peut-on gagner dans un combat ?
Tout dépend de ce que vous misez, en fait vous gagnez le double de ce que vous engagez : plus la somme est importante, plus cela peut vous rapporter. Moi par exemple, je ne joue pas plus de 100€, par contre si tu vas à Cayenne, il y a des amateurs qui jouent entre 2000€ et 3000€, bien sûr ils peuvent gagner gros mais peuvent également perdre beaucoup.
Comment vois-tu l’évolution des combats à Saint-Laurent ?
Je pense qu’ils auront tendance à disparaître, car ce n’est pas une activité facile, donc par conséquent très peu de jeunes s’y adonnent, et d’ailleurs je les comprends. Par contre dans un autre sens, ça évolue car les amateurs ont acquis de nouvelles techniques d’entraînement et de thérapeutiques.
Actuellement nous n’en avons qu’un (voir galerie photo), car il y en a un en sommeil. Je l’avais construit à l’époque avec les lycéens de menuiserie et de maçonnerie, en accord avec le proviseur de l’époque, afin que ces derniers acquièrent de la pratique.
Les combats de coqs se déroulent-ils avec des amateurs uniquement de Saint-Laurent ?
Non pas dut tout, nous nous rencontrons régulièrement pour les grandes occasions, comme Pâques par exemple. Assez souvent nous invitons nos amis de Cayenne et de Kourou à des rencontres sur Saint-Laurent, mais nous aussi nous faisons la démarche inverse. Personnellement, je me rends dans la Caraïbes, à Saint-Domingue, en Martinique, à Porto Rico, et je suis même allé au Mondialito du Pérou en 1992. Ma dernière rencontre hors de Guyane remonte à 2000, où j’étais parti avec 4 coqs, pour trois combats. J’en avais remporté deux et annulé un. J’étais parti pour plusieurs raisons, la première étant que j’étais convaincu que mes bêtes étaient à la hauteur de ceux de la Martinique, pour me faire des amis, et également pour asseoir notre réputation.
Le coq de combat est-il agressif naturellement ?
Oui, il est naturellement agressif, car il est issu d’un croisement d’une bête sauvage qui s’appelle « bankiva », qui vient de la forêt de Bornéo du côté de Java. Il est croisé plusieurs fois avec différents coqs qui viennent de métropole et d’Europe : les combattants indiens, les coqs flamands, et les combattants japonais. Cela donne le même type que nous avons ici, qu’on appelle les coqs James, mot déformé par les créoles qui vient en fait de l’anglais « coq games », c’est-à-dire combats de coqs. Donc, on ne fait que parfaire sa condition physique pour le rendre plus fort, plus résistant, plus endurant et c’est tout.
Les combats débutent en décembre et se terminent aux environs du début du mois d’août, car en dehors de cette période les coqs muent, c'est-à-dire qu’ils changent de plumes, et donc ils sont plus fragiles, ils peuvent faire un peu de fièvre, etc…
Que souhaiterais-tu pour que les combats de coqs perdurent et évoluent ?
Comme j’ai dû le dire au début, cette passion est un peu ambiguë, du fait que je n’aimerais pas que mon fils la pratique. Moi j’ai le virus, donc je continuerai quoi qu’il arrive, mais si les combats devaient s’arrêter demain, quelle qu’en soit la raison, je ne serais pas amer non plus. C’est une passion qui est trop prenante, et surtout qui demande un investissement total de sa personne, et par conséquent je n’aurais aucun regret. Et je ne dis pas cela parce que je m’y suis consacré depuis mon plus jeune âge, car j’ai toujours le feu sacré, c’est juste que je pense que toute chose a une fin dans la vie.
C’est comme le sport, je m’y suis consacré énormément et maintenant j’ai atteint la limite d’âge. Le jour où je sentirai que me lever à cinq heures du matin est une corvée, qu’emmener les coqs ça ne me dit plus rien, et que je ne pourrai plus avoir d’émotion, et bien je m’arrêterai, sans pour autant critiquer ceux qui continuent. Et d’ailleurs, si j’ai un conseil à donner à quelqu’un, c’est de ne pas se lancer si on ne sait pas où on va, car cela risque de leur causer des problèmes au sein de leur famille et pour eux-mêmes, car vous ne faites rien d’autre que de vous occupez de coqs.
Oui bien sûr, tant que j’aurai cette flamme en moi, je continuerai à transmettre tout ce que j’ai appris, d’ailleurs je continue même avec des gens de mon âge, à qui je transmets tout ce que l’on m’a inculqué durant mes presque quarante années de pratique. Lorsque je ne pourrai plus physiquement m’occuper des coqs et que j’aurai tout de même encore la flamme, j’irai chez ceux qui pratiquent encore et je leur transmettrai toute mon expérience.
Aimerais-tu dire quelque chose à ceux qui partagent ta passion?
J’aimerais leur dire que le fair-play doit prévaloir dans cette activité. C’est une activité saine, qui permet de canaliser toutes les énergies négatives que peut contenir l’être humain, donc le pit est un exutoire, à la sortie duquel on redevient soit même, afin de ne pas laisser cette passion prendre le pas sur l’être humain.