Je suis Président de l’association. Mon rôle et celui des autres membres, est d’avoir des contacts avec les usagers (on préfère dire usager que malade). Je suis proche du médecin qui s’occupe d’eux ; après ses consultations du lundi matin, on se voit le lundi après-midi pour un petit compte-rendu des gens qu’il a vus, pour discuter de ceux qui doivent venir aux réunions, ceux qui doivent partir en cure, etc…Je note aussi dans le cahier de transmission tous les coups de téléphone qu’il y a eu des usagers, ou de l’hôpital qui nous appelle parfois pour venir voir des malades qui ont un problème d’alcool. C’est également notre rôle d’aller les voir et de discuter avec eux.
Penses-tu qu’une telle association soit nécessaire à St-Laurent ?
Je crois que oui. Quand j’ai eu des problèmes, il n’y avait pas d’association à St-Laurent, mais je n’ai pas eu trop de difficultés par rapport à mon travail puisque je suis dans le milieu médical, ça a été plus facile pour moi. Après ma cure, je me suis rendu compte qu’il fallait une association pour aider parce que si on n’était pas dans le milieu hospitalier, on ne pouvait pas s’en sortir facilement. Il y avait le docteur Paruite qui nous suivait un peu et le docteur Klein qui s’occupait également des personnes alcooliques, mais je pensais que ça ne suffisait pas. Donc après ma cure, le docteur Parude m’a contacté ainsi que Noël qui sortait aussi de cure, afin de créer une association. C’est comme ça que ça a commencé, nous sommes allés voir le maire pour demander un local, que nous avons finalement obtenu même si cela a pris du temps. Ensuite, nous avons contacté d’autres personnes qui nous ont aidés.
Obtenez-vous des résultats ?
On peut dire qu’on a des résultats. En deux ans, il y a au moins deux personnes que nous avons aidés, qui sont parties en cure et qui s’en sont sorties. Pour les autres il y a encore des échecs mais en deux ans d’existence, on a quand même eu des résultats.
C’est d’abord pour aider les autres. Je sais ce que c’est, j’ai vécu l’alcoolisme sans me rendre compte, bien sûr, du problème qu’est l’alcool, mais maintenant je veux aider ceux qui ont ce problème. C’est difficile et il faut de la patience, même moi, j’ai parfois l’impression qu’ils le font exprès, alors que moi aussi je faisais pareil à l’époque !
Combien de temps as-tu été dépendant de l’alcool ?
Ça a commencé en 1979, j’ai fait une première cure en métropole en 1994. Elle n’a pas marché puisque deux mois après être rentré, je me suis « réalcoolisé ». Je suis reparti en cure en 1998, en Martinique d’octobre à novembre, et depuis j’ai complètement arrêté de boire.
Peux-tu nous raconter un peu ce qu’était ta vie à cette époque ?
En fait, quand j’ai commencé à travailler à l’hôpital, je buvais mais je n’étais pas dépendant de l’alcool. Les choses sont venues petit à petit : après le travail, avec les copains on allait dans un bar pour boire un coup, on disait que c’était pour « enlever l’odeur de l’hôpital » ! Les choses se sont enchaînées comme ça jusqu’à ce que je devienne vraiment dépendant. Pourtant, je n’avais pas de problèmes, je vivais avec quelqu’un, j’ai eu des enfants… Je buvais mais ce n’était pas parce que j’avais des problèmes dans ma vie. Je pense que c’était par plaisir, parce que j’étais avec les copains, je ne sais pas…
Ma vie en a été affectée puisque la personne avec qui je vivais m’a quitté à cause de cela.
En réfléchissant bien, je crois que j’ai perdu beaucoup de ma vie…On dit qu’il ne faut pas regretter mais parfois je me dit : « Si je savais… ». C’est sûr qu’on regrette un peu mais il ne faut pas trop rester dessus, il faut surtout aller de l’avant.
Qu’est-ce qui t’a décidé à t’en sortir ?
C’est le boulot. J’ai fait ma première cure parce qu’une surveillante m’a surpris alors que j’étais ivre, et elle m’a conseillé, si je ne voulais pas être blâmé, de suivre une cure. La deuxième fois, ça a été aussi à cause du boulot, je me suis retrouvé en demi-solde. Cette fois-là, pendant la cure je me suis dit qu’il fallait vraiment arrêter ça, que j’avais encore des enfants à nourrir, ça a été le déclic.
C’est en réfléchissant. Pendant la cure, on a des réunions, ensuite il y a la convalescence où on est seul dans une chambre et on réfléchit, on se dit qu’on peut s’en sortir.
Ici, on croit beaucoup au mal, et j’ai toujours cru que je buvais parce qu’on m’avait fait du mal, les copains me l’ont toujours assuré. Finalement, après ma deuxième cure, en y réfléchissant, j’ai compris que mon problème n’avait rien à voir avec cela, et c’est vraiment ma volonté qui m’a aidé.
Peut-on dire que tu es né une deuxième fois ?
Non, je ne pense pas. Je dis simplement que je me sens mieux maintenant. Pendant mes six ans d’abstinence, j’ai beaucoup voyagé, mais je ne parle pas d’une nouvelle naissance. La vie continue… il y a eu un mauvais passage, maintenant c’est fini et je pense que la vie continue.
Es-tu complètement guéri de la dépendance à l’alcool ?
Non, on ne dit jamais qu’on est guéri de l’alcoolisme. Par exemple, en Martinique j’ai rencontré quelqu’un qui avait été abstinent pendant 25 ans et qui a recommencé à boire parce qu’il avait bu une coupe de champagne dans un mariage. Moi, ça ne fait que six ans, alors…On dit que c’est une petite goutte qui peut vous faire retomber mais je crois que c’est aussi une question de volonté, et puis ça dépend de la personne. Moi je fréquente les bars, je vais danser, mais d’autres ne peuvent pas le faire, de crainte de retomber. J’ai toujours essayé d’affronter le problème.
Si tu devais faire une comparaison entre ces deux périodes de ta vie ?
Beaucoup de choses ont changé, je fais des choses que je n’aurais jamais pu faire avant. Par exemple, je voyage : depuis six ans, je me suis fixé l’objectif de sortir du département chaque année et je pars pour tous mes congés.
Qu’est-ce que tu voudrais dire aux personnes qui ont un problème avec l’alcool ?
Tout d’abord, d’être très courageux et de venir nous voir, de ne pas être trop orgueilleux, de ne pas avoir honte. C’est vrai qu’au début c’est difficile, moi aussi quand j’ai dû aller voir le médecin, que les gens se demandaient si j’étais fou parce que j’allais voir le psychiatre, j’avais honte. En plus maintenant, il n’y a plus à aller à l’hôpital puisqu’il y a l’association et c’est plus facile. Ici, nous recevons tout le monde et nous donnons des conseils, donc je leur conseille de venir nous voir et d’en parler. L’alcool est dangereux, il faut que les gens en prennent vraiment conscience.