Alain CHUNG, 35 ans célibataire mais plus pour longtemps, j’espère. Enfant du pays de la troisième génération, d’origine chinoise. Mon père se prénomme AKO, il est très connu à St-Laurent. Il a toujours été quelque part à la tête de la communauté chinoise, moi je prends la succession et actuellement je suis commerçant. J’occupe également le poste de secrétaire de l’APOG (Association Patronale de l’Ouest Guyanais) et je suis membre associé de la Chambre de Commerce.
Pourrais-tu nous parler de ton activité actuelle ?
Actuellement j’en ai plusieurs, un snack, « Pause Café », pour la restauration rapide que j’ai monté avec ma compagne. Je suis également gestionnaire de distribution automatique, domaine dans lequel je débute (depuis trois mois). Cela consiste à placer stratégiquement des automates de distribution d’aliments dans des sites comme la Mairie, la Poste, les boulangeries etc…
Comme vous le savez tous, en Guyane la plupart des asiatiques sont dans le commerce, et je dirais que je suis tombé dedans tout petit. J’ai pourtant fait mes études en métropole, et j’aurais donc pu travailler dans une administration, mais j’ai préféré reprendre l’affaire familiale qui été un supermarché, et que j’ai décidé de vendre en 1995. Ensuite à Kourou, j’ai racheté un fond de commerce, pour ouvrir une boutique dans le prêt-à-porter qui se nommait Waikiki Beach, mais que j’ai revendu un an après environ car c’était invivable de faire le trajet St-Laurent/Kourou régulièrement. En effet, en parallèle, j’avais ouvert à St-Laurent un restaurant avec mes parents, le « Restaurant Chez AKO », où il y avait un PMU et la Française des jeux. J’ai donc décidé de m’occuper pleinement du restaurant avec mes parents. En 2000 ou 2001, nous avons revendu l’affaire. Mes parents ont pris leur retraite anticipée, et moi j’ai poursuivi dans l’informatique, car depuis 1997 j’avais ouvert un service ISP Internet Service Profiler, c'est-à-dire que j’étais un fournisseur d’accès à Internet, nous étions les premiers en collaboration avec « Net Plus ». J’ai repris un local, et en plus de l’Internet, je vendais des ordinateurs, et j’ai ouvert un cyber café, le premier également dans l’ouest. En 2002, j’ai repris un garage qui s’appelait à l’époque Ouest Auto, que l’on a rebaptisé Méga Max, mais cette affaire a été un échec.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles se heurte un jeune chef d’entreprise ?
La principale c’est d’innover, c'est-à-dire trouver l’idée que l’autre n’aura pas, car trop de gens suivent ce que font les autres, et étant sur un petit marché, forcément quand trop de gens font la même chose, la part du gâteau est réduite. Et, si je peux soumettre une solution, ça serait de chercher à être présent, réduire au maximum les charges d’exploitation.
Toujours au niveau commerce, comme c’est ce que je connais le mieux, on peut dire qu’on est confronté à un marché en devenir, et nous avons une démographie croissante. Mais c’est un marché en devenir, donc pour l’instant c’est un petit marché et nous avons une population très faible, de plus, le pouvoir d’achat est également très faible.
Quelles pourraient être, selon toi, les façons d’ y remédier ?
Il n’y a pas de solution miracle, nous savons que la démographie est une bonne chose, si par exemple on regarde les chiffres que l’ancien directeur du CNES nous a donnés. Selon ces chiffres, dans 20 ans, la population de la Guyane aura doublé. Et la plus forte croissance se fera dans le bassin du Maroni, donc on peut espérer qu’à terme on ait un marché intéressant, sauf que plus de monde ne veut pas dire plus d’argent. Donc, il n’y a pas de solution miracle, il faut juste être vigilant, innovant et être pragmatique.
Tes parents sont arrivés en Guyane avant ta naissance, de quelle partie de la Chine viennent-ils?
Ma mère est de Hong-Kong, ancienne colonie britannique, mon père vient de l’autre coté de la frontière, en Chine populaire, mais tout cela se trouve dans la même région de Canton. Nous sommes d’une ethnie différente appelée « Hakka » qui veut dire « invité », c’est une tribu de nomades. La majorité de la diaspora chinoise dans le monde et en Guyane sont des Hakkas.
J’y suis allé avec mes parents plusieurs fois, en 1979, 1984 et 1990, mais cela fait plus de 15ans que je n’y suis pas retourné.
Quels souvenirs gardes-tu de ton enfance, en tant que fils d’immigrés chinois ?
De très bons souvenirs, je n’ai jamais ressenti le fait d’être immigré chinois, c’est bien pour cela que la Guyane est une terre d’accueil, et je pense que toutes les ethnies peuvent y cohabiter.
Te sens-tu écartelé entre tes deux cultures ?
Oui effectivement, pendant longtemps et encore aujourd’hui, je me suis cherché, entre l’identité chinoise, Française et Guyanaise. Et quelque fois en parlant de moi, je m’appelle le mutant en rigolant, car en moi vivent les trois communautés. Tout dépend, mais je dirais que je suis d’abord chinois, Guyanais et enfin Français, mais ce n’est pas toujours dans cet ordre là.
As-tu été élevé dans le strict respect des traditions chinoises ?
J’ai la chance d’avoir des parents qui sont très ouverts, et surtout mon père, il a une force d’intégration, il a toujours tout fait pour que ses enfants soient intégrés, lui également. Pour exemple, j’ai été baptisé, j’ai été au catéchisme, comme mes camarades créoles ou métropolitains, je suis catholique, alors que mes parents ne le sont pas du tout. Et comme autre exemple, la première chose que mes parents ont fait en arrivant, ça a été de prendre un prénom français, mon père est connu sous le surnom d’Ako, mais c’est un surnom, Maurice est son prénom et ma maman c’est Adeline.
Oui, il y a des traditions chinoises qui sont tout autres que la religion, il n’y a pas de véritable religion en Asie, c’est plutôt une philosophie. Effectivement l’éducation chinoise est assez forte en moi, et il y a un certain nombre de choses que je respecte.
Comment expliques-tu le fait que la communauté chinoise vive refermée sur elle-même à St-Laurent ?
Je pense que c’est une impression, car la frontière entre la réalité et l’impression est floue, et c’est vrai qu’elle est perçue comme une communauté très fermée. Je pense que cela fait partie du caractère même de l’asiatique, il est discret, et ne veut surtout pas d’ennuis. C’est d’ailleurs pour cette raison que la communauté chinoise arrive à s’intégrer partout dans le monde, peut-être un peu mieux que d’autres communautés. A travers l’association qu’a créée mon père, l’association chinoise et à travers le travail que je poursuis au jour d’aujourd’hui à l’association en tant que membre du bureau, dénommé « Saint Fa Foei Kon », Association Chinoise de Saint-Laurent du Maroni, j’essaie de poursuivre le travail de mon père, celui de créer une association ouverte aux autres ethnies, aux autres communautés. Pour exemple, mon père avait fait venir un professeur de chinois pour donner des cours, pas seulement aux chinois mais à toutes les ethnies intéressées. Ma prochaine action, sera de faire venir la danse du dragon pour le nouvel an chinois.
C’est un problème assez vaste, nous le voyons à travers toutes les diasporas dans le monde, et ce n’est pas une caractéristique propre à la communauté chinoise, je pense qu’il faut laisser le temps au temps. Effectivement, en matière d’intégration seul le temps peut faire ça, nous sommes seulement à la 4ème voir la 5ème génération au maximum. On voit l’exemple de nos voisins du Surinam, où j’ai été fêter le 150ème anniversaire de la présence des Chinois au Surinam, où ils sont les descendants de la 10ème voir la 15ème génération et ils sont totalement intégrés, ce sont des Surinamais avant tout. Il faut juste laisser le temps au temps et l’ouverture viendra.
Voudrais-tu faire passer le message à une ou des personnes en particulier ?
Juste une pensée pour une dame que nous connaissons tous, madame TAI LOONG qui vient de se faire agresser mardi dernier à son domicile, par des voleurs, et qui sort de l’hôpital. C’est une commerçante de la place que tout le monde connaît. Elle s’est faite agresser d’une façon violente et torturée. Actuellement nous essayons de monter des actions, de prendre des rendez-vous avec les autorités compétentes, parce que comme on le sait, cela ne concerne pas que la communauté chinoise, tout le monde est concerné, l’insécurité grandit depuis quelques années, et donc il faut vraiment faire quelque chose.