Il faut bien dire que Vichy a été une période très difficile. L’Amiral Robert gouvernait les Antilles et la Guyane d’une main de fer. En 1942, à St Laurent, un nouveau dirigeant nommé par le gouvernement de Vichy a pris ses fonctions à la tête de l’Administration Pénitentiaire. Pendant ce temps-là nous avons vécu dans des conditions difficiles. Les bagnards ont le plus souffert, et ils sont morts par milliers dans les camps ! Mais la population civile a elle aussi subi ce régime : interdit de se réunir à plus de trois, tickets de rationnement, pénurie de certains produits … on écoutait les nouvelles sur la BBC avec mon beau-frère résistant, le soir, en cachette !
Le capitaine de l’Armée du Salut a été accusé de trahison et expulsé, plusieurs habitants ont été envoyés aux îles du Salut comme prisonniers, comme M. Reynard ou M. Bertrand, le grand-père du Maire ; il était passeur et faisait traverser les dissidents sur l’autre rive.
La résistance s’était alors organisée ?
Oui, plusieurs jeunes ont rapidement choisi de résister ou de partir rejoindre les Alliés. En face, à Albina et à Moengo, les militaires accueillaient les dissidents et les encadraient. Le lieutenant-colonel Chandon était à la tête de cette organisation. Il avait laissé l’armée ici pour rejoindre les Alliés !
Oui, peu à peu les bagnards disparaissaient. Il y avait encore quelques libérés, hommes libres mais sous contôle du pénitentier, qui se débrouillaient : petits commerces, bar, artisanat …
Oui, il faut bien dire que la ville vivait grâce aux activités du bagne; la ville a perdu beaucoup de sa beauté; il a fallu alors s’organiser, surtout sur le plan économique. Les principales entreprises fonctionnaient grâce au bagne. Par exemple, ce qu’on appelait alors « Les travaux » (l’actuel bâtiment de la DDE, partie de droite) employait une foule d’ouvriers qualifiés: des menuisiers, des couvreurs, des ébénistes, des peintres, des tolliers, des tourneurs … tous faisaient un travail de qualité! Et bien tous étaient bagnards !
L’A. P les employait mais la population en profitait aussi : un particulier pouvait demander quelques bagnards en « cession » pour ses travaux, en payant une somme modique au Trésor ; on donnait souvent un petit pécule au bagnard méritant, en cachette … par exemple, la maison de mes beaux-parents a été couverte en l’espace de 48 heures, un espace de 200 m
Beaucoup de jeunes de St Laurent ont appris comme apprentis un métier grâce à ces bagnards qui les ont formés.
Les bagnards partis, les ateliers de l’A. P ont fermé un à un …
Les briqueteries, les exploitations forestières, les terres cultivées par les bagnards concessionnaires, l’élevage des boeufs, tout cela a disparu progressivement …
Le commerce même déclinait, car la main d’œuvre a disparu pour charger et décharger les marchandises.
Un temps seulement, car l’activité économique et la vie sociale ont repris peu à peu.
Il est important de dire qu’en 1949 la ville est alors devenue indépendante et qu’elle ne dépendait plus de l’A. P, puisque celle-ci avait fermé ses portes. Le temps où le bagnard, avec son fanal, une lampe à pétrole, éclairait les rues de St Laurent, était fini.
La départementalisation, en 1946, a aussi fait évoluer les choses.
Comment la population a-t-elle pris son destin en main ?
Cela a pris du temps et il a fallu s’organiser.
Les commerces ont joué un rôle clef dans la renaissance de la ville. Les grandes maisons comme TANON, GOUGIS, BARCAREL, GAMALAM et d’autres ont repris les choses en main. Les Sociétés Forestières ont pris la relève pour exploiter la forêt.
La question des transports était capitale. Le transport des marchandises se faisait par le fleuve grâce aux deux caboteurs et aux voiliers de la société TANON et aux voiliers brésiliens. Le transport routier était toujours difficile, et la route reliant St Laurent à Cayenne n’existait pas encore; il y avait seulement une route empierrée qui allait à la ville de Mana.
Mon parcours professionnel est symbolique de ce que je viens de vous dire.
J’ai travaillé cinq ans aux Ponts et Chaussées comme surveillant des travaux, puis à la Société Forestière de Guyane dirigée par un bequé, à la comptabilié ; il y avait 400 ouvriers, souvent des bushi-nenges, je m’occupais de la paye des employés. Puis, en 1952, j’ai travaillé avec mon beau-père à l’ouverture d’un commerce, la maison FOURNIER. La maison-mère se situait à l’emplacement de l’actuel magasin chinois AKO. On vendait de l’alimentation, puis de par mes activités sportives, on a greffé des équipements de sport, et j’ai vendu la marque Adidas.
Nous avons ensuite ouvert un magasin de gros, alimentation et autres, approvisionné directement de métropole ; on vendait ainsi moins cher !
Puis un troisième magasin de matériaux de construction.
Le commerce, c’était mon affaire !
On a commercé avec le Surinam, alors toujours hollandais. On recevait de la peinture tropicale, des meubles en contreplaqué et en formica, du grillage …
Puis on a ouvert une pompe à essence en accord avec le groupe ESSO. On travaillait en famille, sans relâche !
Nous avons fermé en 1983. J’ai perdu mon beau-père, ma belle-mère et ma femme ; mes fils ne voulaient pas reprendre l’affaire.
Ah j’aime le sport !
Depuis l’école, en France, j’ai joué au football ; j’étais le seul noir de l’équipe et je devais assurer ! De retour à St Laurent, j’ai continué.
En ce temps-là il y avait quatre équipes : Le Patronnage, le Stade Guyanais , le Golden Star et Bota Fogo. Je jouais avec le Golden Star et j’étais arrière central ; j’ai commencé à 18 ans et j’ai laissé à 38 ans ! j’ai même joué en sélection de Guyane, à l’âge de 25 ans! 20 ans de football !
Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai appris à jouer au basket-ball pendant la guerre, avec des portoricains basés à Moengo ; ces gars-là étaient forts !
Plus tard, avec une bande d’amis, nous avons formé la première équipe de basket à St Laurent : je me souviens de Jean HO YOU FAT, Georges LEO, René LONG, de M. AGELAS entre autres, et d’une fille, mademoiselle Gilberte SALEG ! Nous avons beaucoup joué au Surinam …
Il n’y avait pas de terrain à St Laurent, et nous en avons eu assez de jouer sur de la terre battue; on a voulu un terrain en ciment. Pour le financer, nous avons organisé des bals, des kermesses d’une semaine! C’est l’actuel stade B ! C’est là que je m’entraînais au basket-ball, pour améliorer mon jeu au football !