J’ai grandi à Cayenne, et à l’âge de 17 ans j’ai commencé à sortir dans les rues avec quelques amis. A l’époque la majorité était à 21 ans et je ne pouvais pas entrer dans les dancings. Alors j’ai eu l’idée de me déguiser en touloulou pour entrer au « Ti-balcon » ! Un jour j’ai pris deux robes à ma maman et je me suis déguisé avec un camarade. Le lendemain, quand la blanchisseuse de ma mère est venue, elle a fait la remarque à ma mère et lui a montré les deux robes dans la baille ! Ma mère m’a alors appelé et, au lieu de me reprendre, m’a permis d’utiliser son linge pour le carnaval !
Quand êtes-vous arrivé à St Laurent ?
Je suis venu une première fois en 1950, j’avais 18 ans ; puis je suis reparti à Cayenne en 1952 pour travailler et je suis retourné définitivement à St Laurent en 1966.
Comment vous êtes-vous retrouvé dans les rues ?
A Cayenne déjà je faisais mon carnaval. J’étais chauffeur chez M. Saulvy ; j’ai même conduit un bus déguisé un jour où il fallait récupérer des employés ! On m’a appelé alors que j’étais dans la rue et j’ai honoré mes engagements, puis je suis revenu dans la rue !!!
J’ai appris beaucoup de choses grâce aux anciens de St Laurent. Il y avait plusieurs bandes dont celle à Briquet, Martin, Peslier …celle de Sainte Luce, Warton, Féfène …
C’était des groupes d’amis, des groupes « spontanés », pas des associations subventionnées comme aujourd’hui …
C’est en 1967 que nous sommes sortis pour la première fois, mais mon souvenir me ramène au lundi gras de 1968 : pour le mariage burlesque j’avais pris la robe de ma jeune épouse, Mme Jean-françois. Elle était en garçon d’honneur, habillé en « maxi-short » ; je me souviens, dans le feu de l’action (après un bon « démarrage ») d’avoir coupé un pantalon neuf à moi pour faire l’habit ; quelques jours après j’ai cherché mon pantalon, en vain !
Comment s’organise-t-on pour gérer un groupe ?
Il faut de la patience et de la passion ! Nous avons été près de soixante personnes durant les belles années ! Je ne peux pas citer tout le monde, mais mes compagnons de route étaient Mme Jean-François, mon épouse, Mme Meff, Mme Constance, M. Laporte Eugène, M. Bricade, M. Ledoux, M. & Mme Guye …
Bref on fait une réunion du groupe avant le début du carnaval, pour choisir les thèmes de la période et planifier les dépenses, ainsi que la préparation des habits.
Chacun achète ses affaires …mais le groupe est solidaire et on peut toujours mettre un peu plus de sa poche… On se retrouvait ici ou à côté, derrière la sous-préfecture, il y avait toujours de quoi manger ou boire, on s’habillait aussi parfois ici, puis on sortait.
Non, plutôt une tradition à suivre ! On sortait du premier dimanche au dernier dimanche, et les jours gras bien entendu. Le groupe se retrouve vers 16 heures pour sortir vers 16h30, bien plus tôt qu’aujourd’hui ! On suivait ensuite le vidé vers 17h30, depuis le dancing Colorado. Et on revenait danser, toujours costumé pour le « bal titane » du dimanche soir!
Le parcours aussi était bien différent : on ne remontait pas seulement l’avenue F. Eboué ; on défilait dans de nombreuses rues, La rue Tourtet, l’avenue De Gaulle …on s’arrêtait devant Gauthier, Tanon, et même devant l’hôpital ; tout le monde profitait, les grandes personnes étaient sur leur pas de porte et pouvaient voir le spectacle ! On faisait aussi un « stop » rue Malouet pour manger et boire !
Pour les déguisements, les thèmes correspondaient au calendrier : au début, c’était « l’école », puis « l’arabe », « le zonbi baréyo », les « jé farine », l’ « anglé bannann » avec sa queue de morue et son « bisbonm », et « les négriers coupeurs de cannes » avec le grand chapeau en arouman et le sabre pour le dernier dimanche : on dansait kasékô et on jouait du tambour. Les jours gras, on suivait la tradition à la lettre : mariage burlesque ou opération de Vaval le lundi, diables rouges le mardi et la diablesse en noir et blanc, avec son pot de chambre, pour le mercredi des Cendres.
Oui, et je préparais moi-même mon « Bwabwa » avec M. Guadil : clouer le squelette en bois, enfiler la paille, coudre le costume … parfois plus de 15 mètres de tissu gris!
A l’époque on faisait la quête pour récolter de l’argent et habiller Vaval pour le mercredi des Cendres
Comment animiez-vous les défilés ?
Comme chef de groupe, je réglais la marche et je chantais, puis le groupe répondait ; mais la musique était plus simple, avec surtout les « chachas » et les tambours ; il n’y avait pas d’orchestre et c’était la voix qui comptait ! M. Briquet et M. Peslier avaient de très belles voix. Quand les groupes se croisaient, les meneurs se faisaient face, c’était une joute incroyable, il fallait avoir une voix puissante et garder le rythme !
J’ai appris tous ces chants traditionnels avec les anciens : à chaque thème correspondait un chant … j’aimais beaucoup celui de l’arabe ! D’ailleurs je me souviens que lorsque le groupe sortait en arabe, il fallait faire la prière à terre et embrasser le sol ; certains avaient un peu de mal à se baisser alors je les aidais … à ma façon !
Vous savez, le groupe est sorti de 1967 à 1973 ! Et les souvenirs sont tellement nombreux !
La première sortie en 1968 reste mémorable. Le lundi gras, pour le mariage burlesque, nous avions organisé un fabuleux cortège avec l’aide des anciens : le bedot et sa canne ouvrait la marche, les mariés, les garçons et demoiselles d’honneur … M. Caristan, de Cayenne m’avait avoué : « Armand, vous avez enterré Cayenne au niveau de la qualité du défilé ! »
J’aime aussi beaucoup l’arabe, tunique blanche, ceinture et chéchias rouges.
Par contre j’ai un regret, celui de n’avoir jamais porté le déguisement de « la Caroline », compliqué à réaliser.
Mais vous avez progressivement « modernisé » le défilé …
Oui, nous avons essayé de moderniser le défilé sans changer la tradition : nous avons défilé en mexicains, en piroguiers pieds nus sur le goudron chaud… j’ai même fait décoller le concorde « Air Vaval » et navigué sur le canot « An nou wé »!
Oui, je me souviens aussi de vous à bicyclette !
Ah oui ! Avec mes petits-enfants … Depuis quelques années les choses ont changé : les anciens sont partis, l’esprit n’est plus le même… mais je sors quand même, seul ou en famille…
Mais pour « le Solitaire » la relève est donc assurée !
Peut être, mes enfants aiment aussi le carnaval : Christian, Alain, Jacky mes fils, mais Yves et Serge ne défilent pas !
Je suis déjà sorti avec mes petits-enfants ! J’en ai 22 … seulement ! Ce sont peut-être eux la nouvelle bande à Jean-François !