Les premiers dancings dont je me souvienne sont « Au petit coin de Paris » (une ancienne case créole qui a brûlé depuis) et « l’île de Raynard » à l’emplacement de l’actuel 8/8 en ville. Des bals s’y déroulaient toute l’année et évidemment pendant la période de carnaval.
Puis il y a eu « Le Nouveau dancing », dans les années 50, à l’angle des rues Simon et Rivierez (actuelle avenue F. Eboué) ; on s’y amusait beaucoup pendant le carnaval. Les gens allaient aussi au bal « chez Loulouse », route de St Maurice ; on s’y rendait alors à pied ! M. Barthélémy organisait aussi des soirées carnavalesques, route de St Maurice toujours.
Au centre-ville vous aviez le « Welcome dancing » de M. Filtz, avenue Rivierez (actuel cabinet du Dr Bois), et chez Mme Anatole, en face ; on y respectait la tradition et le folklore et on y jouait le tambour.
Il y avait aussi l’établissement de M. Edouard ROYER, « le Django Palace », devenu plus tard le « Yucca Club », et « Chez Momo » (actuel siège du PSG).
Qui animait ces soirées ?
Nous avons toujours eu d’excellents musiciens à St Laurent, et on trouvait alors de nombreuses formations ; je me souviens d’un orchestre réputé avec M. Foye, M. Dechicourt au saxo, M. Wy à la contrebasse, M. Tarcy à la clarinette ainsi que M. Jo Wait qui était professeur de musique.
Il y avait aussi, dans les années 50, l’orchestre « La Flamme Harmonieuse » et l’ « Orchestre Tropical » qui animaient les soirées.
Quels ont été vos débuts dans l’animation des soirées carnavalesques ?
J’ai commencé à participer à des soirées dans l’établissement « Colorado ». C’était un bâtiment construit par un groupe d’amis musiciens, en face de l’actuel garage Bertrand.
J’appartenais alors à une association sportive nommée « Golden Star » et nos finances étaient peu importantes ; nous n’avions pas toujours les moyens de nous rendre dans les communes ou à Cayenne pour disputer les matchs et devions souvent déclarer forfait. Pour remédier à cela, nous avons pensé à l’organisation de soirées pendant le carnaval. Nous avons donc loué le Colorado pour financer les déplacements du club !
Cela vous a donné le goût des soirées carnavalesques…
Oui ! En janvier 1969, j’avais alors 28 ans, j’ai pris la direction du Colorado. Tous les samedis soirs il y avait bal.
Le premier orchestre était « les Vickings », formé par des jeunes de la commune, dont Jérôme CRITTON, J.P PADOVANI, Christian ROYER et Gaston EMIGRE. Léon BERTRAND a débuté avec eux! Ils sont devenus ensuite « Les Rapaces ». Ils étaient les premiers à animer les soirées.
Plus tard il y a eu l’orchestre des « Faucons Noirs ».
Ces deux orchestres ont joué en alternance de 1969 à 1974.
Disons que cela est venu petit à petit. Cette tradition existait déjà à Cayenne et j’ai connu là-bas les premiers touloulous qui allaient danser au « Petit Balcon » au bout de l’avenue du 14 juillet, vers la mer, ou au « Palladium », là où se trouve aujourd’hui la librairie A. J. C.
A St Laurent il fallait inciter les gens à se costumer et à se masquer. Je crois que c’est en 1970 que nous avons eu notre premier vidé sonorisé à St Laurent, grâce à la générosité de M. Joseph CHEUNG-A-LONG qui nous avait donné son transformateur : de 12 volts nous sommes passés à 110 volts !Les Faucons Noirs ont mis le feu à la ville !
Quand avez-vous pris la décision d’ouvrir votre propre établissement ?
C’est en 1975 que je me décide à construire mon établissement au 42, boulevard De Gaulle. Le MARONI PALACE sort de terre grâce à quelques amis et à moi-même ; nous l’avons bâti de nos mains : une piste de danse de 150m2 , la scène surélevée de 60 cm, le bar et les toilettes, ainsi que deux portes de secours.
Avec beaucoup de persévérance, j’ai progressivement organisé mes soirées. Les débuts ont été difficiles, et en 1976 Les Rapaces ont ouvert le carnaval au Maroni Palace, mais avec peu de succès. C’est en 1979 véritablement que tout commence, avec l’orchestre des Difficiles, qui a joué dans mon établissement jusqu’en 1987 !
Mais je dois préciser qu’il existait un autre établissement, celui de M. Sainte Rose, le « Kerlys ».
Le Maroni Palace entre alors dans la légende de l’école du samedi soir !
Oui ! Honnêtement, on peut dire que nous n’avions rien à envier à Cayenne ! D’ailleurs de nombreuses personnes venaient passer la fin de semaine à St Laurent, depuis Cayenne et les communes. Deux cars venaient de Kourou pour la dernière ligne droite…
Les hôtels et les restaurants étaient remplis tout le week-end ! Chaque week-end il y avait un thème, dans les bals et dans la rue…
Le samedi soir, dès 22h30, les touloulous arrivaient, et les cavaliers étaient au rendez-vous, avec tenue correcte exigée !
Le dernier samedi du carnaval, il y avait un jury qui récompensait le plus beau touloulou, avec diplôme et bouteille de champagne !
Ce n’est pas sans peine ! J’ai d’abord incité les gens à se costumer et j’ai commencé par faire venir des touloulous de Cayenne en taxis !!! Jean MODERNE, le taxi-man, les prenait à l’hôtel Kettay et les amenait à St Laurent ; elles étaient 16 femmes qui, arrivées ici, se défoulaient ! Les gens ont apprécié et en 1985, 1986, il y avait trois groupes de quarante touloulous qui dansaient dans mon établissement !
Nous avions deux vidés le dimanche, payés par l’établissement ! Le camion était conduit par Gaston LONY ; Le premier était le matin à 5h30, à la sortie du bal, et l’autre de 16h30 à 19h30 ! La dislocation du vidé se faisait devant l’établissement… puis le bal du dimanche soir s’ouvrait et durait jusqu’à minuit !
A croire que vous étiez plus résistants …
Ah mais il y avait de la vitamine dans l’air !!! On servait la soupe « pied de bœuf » et au retour du vidé, on offrait aux carnavaliers le Vermouth, la bière noire Porter, et les œufs mixés avec du lait et les épices (muscade, cannelle, noyau …) et puis le blaff avec les bacoves « ti-nain » et la viande salée… Pendant le premier vidé du matin, on rangeait et nettoyait la salle pour installer les tables et les chaises. Les gens réservaient leur table !
Quels souvenirs gardez-vous des dernières années ?
En 1987 un groupe de jeunes de la commune a repris le flambeau sous la direction de J. P BONJOTIN, et le groupe « Kalawang » de G. BARBE a joué pendant ces années, de 1988 à 1992.
C’est en décembre 1992 que la commission de sécurité est passée pour constater la vétusté de l’établissement… le délai était trop court pour engager des travaux avant la période de carnaval et j’ai demandé un sursis que l’on m’a refusé ! J’ai alors dû fermer les portes… j’avais pourtant déjà utilisé du bois ininflammable pour le plafond… on ne m’a pas facilité la tâche… j’ai adressé plusieurs courriers aux autorités compétentes, j’ai cherché plusieurs partenaires … j’ai même un plan dessiné par un architecte compétent qui a imaginé un nouvel établissement, plus grand et plus moderne, respectant toutes les règles de sécurité existantes ! Le dossier est là… Mais aujourd’hui encore je suis seul !
Gardez-vous espoir ?
Oui, toujours ! Lorsqu’on aime quelque chose, on sait le faire bien ! J’ai prouvé que j’aimais le carnaval et aujourd’hui encore j’espère la réouverture du MARONI PALACE ! Même si ce sont les derniers jours de ma vie, je voudrais voir St Laurent s’amuser et danser comme avant, car ici nous sommes des aristocrates, et nous avons été habitués à un carnaval de qualité !