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Interview

Interview: Emilie HO A KWIE (la suite)

Suite de notre entretien avec les demoiselles HO A KWIE. La ballade continue dans la cité du bagne qui vit ses dernières heures comme commune pénitentiaire. On y croise bagnards, tirailleurs sénégalais, soldats américains et fonctionnaires du gouvernement de Vichy lors de la deuxième guerre mondiale…



Le quartier chinois était-il réservé à cette communauté ?
Emilie : oui, c’était des familles de commerçants chinois qui y vivaient ; ils avaient leurs commerces et leurs logements. Vous n’avez qu’à lire les noms des rues ! C’était un véritable village sur l’eau car les maisons étaient construites sur pilotis. Ils avaient construit des pontons ouverts sur le fleuve pour commercer avec Albina ; les canots des orpailleurs partaient aussi de là vers les placers des hauteurs.

Sylva : c’était très propre et il y avait de belles maisons à deux étages ; chaque commerce avait son ponton ! On y trouvait toute sorte de marchandises. Mais ils étaient tous locataires car les chinois ne pouvaient pas être propriétaires ! On était des étrangers… Beaucoup sont partis de l’autre côté pour s’installer… C’était la colonie pénitentiaire !!!
Avant il y avait des annamites, des bagnards libérés qui pêchaient et faisaient leur contrebande.

Le commerce illégal était-il fréquent du temps de l’A. P ?
Oui, tout autour du camp, tout le monde trafiquait, et aussi le personnel de L’Administration Pénitentiaire !
Je me souviens d’une fois, j’étais très jeune, et je me promenais le long du mur de l’hôpital, du côté du village chinois. J’entends siffler, et je siffle à mon tour… ma grande sœur m’a déjà donné des coups sur la bouche pour cela…et je vois un colis passer à travers le trou du mur ! Un colis rempli de provisions, volées par le personnel cuisinier de l’hôpital ; il faisait du commerce avec un blanc restaurateur, la nourriture du bagne ! j’entends « clac », le bruit du cran d’arrêt… on connait ce bruit quand on vit à St Laurent ! Un surveillant arrive : « eh bien petite fille ? » Alors le cuisinier m’a dit : « va apporter la course pour ta maman » ; j’ai dit oui, oui et je suis vite partie !!!

Eglise de la ville
Quels sont vos souvenirs de la deuxième guerre mondiale ?
Emilie : si Cayenne a souffert beaucoup, nous n’avons pas connu la misère à St Laurent.
Il y avait de quoi manger car les américains étaient en face et on commerçait avec Albina : du café, du lait, des œufs, du beurre … des passeurs faisaient les commissions !
Le Brésil aussi envoyait de la nourriture et on payait par l’or.

Sylva : on avait droit à dix florins par personne et on achetait ce qu’on voulait à Albina, puis on rentrait et on déclarait tout à la douane !
Une fois M. Derriot, il était brigadier de gendarmerie et faisait fonction de commissaire, m’a dit qu’il avait besoin de café, d’un peu de haricots … et bien il m’a payé le canot ; j’ai donné mon nom, pris les dix florins et fait les courses pour lui.
Il y avait beaucoup d’échanges et même les soldats français, tous les trois mois, traversaient. Ils étaient trois : un avec la caisse de l’argent français, deux autres armés. Ils changeaient l’argent et partaient à Albina avec l’or !

Même si le commerce avec Albina et les ressources en or permettaient à la population de bien vivre pendant la guerre, la répression du régime de Vichy était bien présente à St Laurent ?

Sylva : En temps de Vichy, un nouveau directeur de l’Administration Pénitentiaire avait été nommé et il n’aimait pas la France ! Il a fait fermer l’Armée du Salut (installée sur l’emplacement de l’actuelle école adventiste) et a expulsé son directeur. Les bagnards ne pouvaient plus recevoir d’aide.
On n’avait pas le droit d’ouvrir la radio et on devait éteindre les lumières ; on n’avait pas le droit de rester à trois ; les surveillants venaient vous séparer, et ils donnaient des coups aux jeunes qui se réunissaient!
Il y avait un grand portrait de Pétain à la mairie et tous les jours l’école nous amenait par groupe et on chantait « Maréchal, nous voilà… »

Emilie : je me souviens qu’à St Jean, il y avait un directeur très dur qui laissait les bagnards mourir de faim ; c’était les « pieds de biche », les récidivistes ; il les faisait travailler dur et souffrir … Au moins six cents sont morts en temps de Vichy.
A l’école, on nous donnait des hâches, des pelles, des pioches et on travaillait la terre … c’était « travail, famille, patrie » et les maîtres nous obligeaient !

La présence des soldats américains à Albina devait créer des tensions ?
Emilie : Les Américains étaient postés en face, à Moengo, et avaient construit sur la route, au sommet d’un grand arbre, une guéritte pour surveiller ; il y avait aussi des bunkers à Albina. Leurs canons étaient braqués sur le quartier officiel !!!
Les pauvres soldats martiniquais installés au village chinois avaient leurs petites mitraillettes pointées sur Albina ! Mais Albina avait de grands canons qui pointaient sur St Laurent !!!
Il y avait aussi un ballon dirigeable qui passait sur le fleuve, devant le village chinois : les soldats américains lançaient des sachets avec des provisions (bonbons, sandwichs, bic …), et arrivaient au quai, les enfants ramassaient mais les douaniers français prenaient tout…défense de ramasser !

Sylva : Savez-vous pourquoi Derrieux est parti ?
Le commandant pendant Vichy avait fait construire des tranchées, mais pour les métropolitains seulement… Alors Derrieux s’est fâché et a frappé son poing sur le bureau du commandant, puis a organisé les travaux pour la population, derrière le marché… après chacun a fait sa petite tranchée !
Mais il savait qu’il allait être puni, alors il est rentré chez lui, a dit à sa femme qu’il devait la frapper pour qu’elle ne soit pas complice, et il s’est échappé !
« Pipipi ! Derrieux, tig l’a mangé pendant qu’il était à la chasse ! Pipipi » criait un soldat antillais, mais nous on savait qu’il avait déjà traversé ! Chandon était déjà là-bas. Récupéré par les Américains, ce fut Moengo, Paramaribo et l’avion vers la France libre !

Beaucoup de gens ont choisi la Dissidence et gagné le Surinam ?
Sylva : Je me souviens qu’à l’appel du Général de Gaulle, les tirailleurs sénégalais avec leurs ceintures et leurs chéchias rouges, étaient installés à St Jean, et il y en a un qui a traversé à la nage pour rejoindre les alliés ; mais à Albina les soldats l’ont tenu et ils l’ont raccompagné à St Jean ; mais ils ont exigé qu’on ne le tue pas, ni qu’il soit puni, car on craignait la révolte : toute la caserne pouvait foutre le camp ! Ils on fait signer un papier officiel pour cela.
De nombreux jeunes ont choisi de répondre à De Gaulle et s’opposaient à Vichy : passeurs, soldats …

Emile : Des bagnards aussi s’échappaient pour combattre ; mais quand ils étaient attrapés, ils étaient sévèrement punis. Je me souviens de deux qui faisaient ouvertement de la propagande pour De Gaulle ; ils ont été envoyés aux Iles du Salut. C’était Vangenen et le martiniquais Reinard.

La fin de la guerre a été aussi la fin d’une époque pour St Laurent… Sylva : oui, le bagne a fermé peu après et nous sommes devenus une vraie commune, avec un maire élu ; c’était M. Symphorien.
Et grâce à M. Monerville nous sommes devenus un département.

Emilie : après beaucoup de choses ont changé et la ville a dû apprendre à vivre sans les habitudes du temps du bagne…

Ancien port

Mardi 11 Janvier 2005
C. Mistral

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Vos commentaires

1.Posté par gisele le 12/01/2005 20:33
super de faire ainsi parler la mémoire vivante de st-laurent on pourrait faire plus , un livre pourquoi pas
il ya si peu de livres historiques sur st-laurent

2.Posté par mathevot le 14/01/2005 11:48
tout simplement fabuleux de garder trace visuelle et vivante de ce passé pas si recent et pratiquement inconnu et pourtant si proche de nous .de meme qu'en métropole il faut savoir garder un oeil sur le passé si l'on veut pouvoir à la sécurité de l'avenir

3.Posté par flidjette le 21/01/2005 01:31
j'ai lu les deux interviews d'une traite. Je ne sais quoi dire les commentaires ont été fait. Il ne me reste plus qu'à dire bravo à l'initiateur de cette idée. J'espère que cela perdurera et que beaucoup d'autres mémoires vivantes accepteront de jouer le jeu car grâce à cette initiative j'apprends des tonnes de choses sur ma commune, et j'en suis presque nostalgique. Mais bon heureusement qu'il reste encore de bonne chose aujourd'hui. Gros bisous à cette petite dame de taille, mais grande de l'interieur. Malgré son âge avancé, elle n'oublie personne chaque fois que l'on se croise elle s'arrête pour me saluer et me demander des nouvelles de ma famille. Garder précieusement ces interviews et qui sait peut être qu'un jour elles seront publiées.

4.Posté par DESMANGLES le 03/02/2005 11:56
J'ai adorée cette article moi qui adore l'histoire, et suis des études dans ce sens. Je pense que une vrais récompense pour un jeunes vivant sa passion à travers sa commune. UN GROS BRAVO pour cette article!!

5.Posté par betty le 19/02/2005 20:12
des mémoires à garder pour Saint-Laurent en Guyane. Un historien pour rassembler toutes ces petites histoires pour en faire un livre : petite fille du villafge chinois, petite fille des bois, petite fille du quartier officielet d'autres. merci Mme Emilie car je n'avais pas encore entendu la tienne. Persévèrance à ces personnes du site 97320 pour ces interwies !

6.Posté par Barberis Patrick le 19/03/2005 12:41
bonjour je suis en train de préaper une soirée thématique pour arte sur les dernières années du bagne. Pourriez vous s'il vous plait me contacter. d'avance merci

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