Qui êtes-vous Mme Géramise ?
Je suis née le 20 septembre 1920 à Sainte Lucie car ma mère qui m’attendait y était revenue avec mes deux sœurs pour voir sa mère. Puis elle est repartie ; c’était tout un voyage : il fallait traverser de Sainte Lucie à la Martinique puis il y avait huit jours de bateau de la Martinique à la Guyane. D’abord les Iles du Salut, puis Cayenne et enfin St Laurent par la haute mer. Je suis arrivée, j’avais presqu’un an, directement à St Laurent par l’embouchure du fleuve où le courrier arrivait. Puis ma mère m’a amenée chez elle, sur le fleuve.
Quel est votre premier souvenir de Guyane ?
C’est le village de mon enfance. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de sept ans.
Mon père était orpailleur et les enfants d’orpailleurs n’étaient pas élevés à St Laurent. Ma maman prenait la rivière et passait les sauts pour arriver au village, sur le haut Maroni. C’était bien après Maripasoula, sur le grand Inini ; le nom ne figure même pas sur une carte ! Le nom du village était souvent le prénom du découvreur et on disait « Degrad Untel ». Mais attention, cela me choque quand j’entends les gens parler « des bois » !
Le village était étendu et suivait la rivière. Les maisons étaient grandes et surélevées à cause des inondations. Plus haut se situait l’abattis. C’était là où vivaient les femmes et les enfants ; les hommes partaient dans la forêt pour chercher l’or dans les criques.
Comment se passait la vie là-bas ?
Vous viviez dans l’isolement le plus total !
Oui. Les hommes surtout restaient parfois des mois dans la forêt pour chercher de l’or. Ils partaient en prospection, à la recherche de l’or dans les criques. L’eau est essentielle pour vivre et pour travailler! Ils observaient d’abord « la couleur » de la batée, c’est elle qui indiquait le gisement : poudre d’or, paillettes …
Parfois vous descendiez à St Laurent pour quelques jours ou un mois, selon la quantité d’or que vous aviez. On prenait une chambre en ville et on achetait le nécessaire chez le commerçant ; puis on profitait de la vie, des petits plaisirs…
C’était alors une véritable expédition !
Oui, quand il quittait le village, le canot voguait tranquillement, mais c’était plusieurs jours de navigation à la pagaie, à la force des bras des bossmen.
A la saison sèche, il fallait couper des arbres et fabriquer des rondins pour rouler le canot et passer les sauts… Il faut avoir vu le fleuve Maroni aux différentes saisons… c’est un spectacle superbe !
Quel contact aviez-vous avec les populations du fleuve ?
Parlez-nous de l’école de votre temps.
« Mon pays s’appelait la Gaule et ses habitants les gaulois ! » Voilà ce que j’ai appris !
Je n’ai jamais appris que j’étais guyanaise et j’ai découvert mon pays par moi-même.
Mais nous étions fiers car c’était notre pays ! On croyait en la France ! Nous apprenions la France et on était fier de notre pays… on apprenait la carte de la France, l’histoire de la France… pas vous, vous ne savez rien !
Si la guerre se déclare maintenant, vous êtes de mauvais soldats ! Nous, on se serait battu à mort pour notre patrie…
Et j’ai appris à parler français !
Il était interdit de parler créole et on parlait un bon français ; les antillais nous ont jalousés longtemps ! A la maison ma maman était fière d’entendre sa fille parler français. Les bagnards nous ont beaucoup aidés à parler un meilleur français car ils étaient souvent instruits et cultivés dans les bureaux.
Vous étiez alors à l’école primaire de St Laurent
J’étais élève à l’école communale de St Laurent, on ne disait pas l’école primaire. L’école était en bois avec au rez-de-chaussée les salles de classe et à l’étage les logements des maîtresses. Il n’y avait pas d’hommes pour faire la classe car ils ne voulaient pas être commandés par une femme, la directrice Mme Witalien. On parle beaucoup de M. Caman, de M. Royer , mais Mme Witalien a fait beaucoup ! Elle était directrice, son mari juge de paix et elle faisait la classe des garçons, le cours moyen.
Nous étions plus malheureux que vous : on ne savait pas ce que c’était un crayon, une craie, une ardoise, un tableau …
L’école commence à sept ans : on a une ardoise en carton, pas chère, et un crayon ardoise ! C’était notre seul matériel …La première année, pas de crayon ni de cahier !
La deuxième année, on a droit au cahier et au crayon cahier ! Enfin la troisième année on vous donne l’encrier ; monsieur bic n’était pas encore né ! L’encrier était fixé dans le bureau mais quand il tombait à terre, sur le ciment, il fallait nettoyer avant de rentrer chez soi…
On commençait par l’écriture « petits bâtons », à descendre puis à monter !
Les mamans nous écoutaient de la rue : les enfants ânonaient « n et o no, n et a na, m et a ma… »
Aujourd’hui les enfants ne savent pas lire ! « nappe : n et a na, p et e pe » ! Du cours préparatoire au cours moyen 1 et 2, jusqu’au certificat d’études ou de fin d’études, on apprenait à lire et à écrire ! Je vous bats jusqu’à présent !
Quelle était la place des loisirs pour les enfants?
Et ensuite, après l’école communale ?
Rien ! Il n’était pas question de parler de collège… A l’âge de dix huit ans je suis repartie vivre sur le fleuve, où j’ai été une des dernières monitrices. J’enseignais les bases à quelques enfants malheureux dans des villages isolés. Je suis restée quatorze ans sur le fleuve, puis je suis revenue à St Laurent en 1952. J’ai travaillé ensuite à l’hôpital : après le départ des bagnards, la population a été employée.
C’était vraiment une époque radicalement différente…
Oui ! On parle toujours du bagne, c’est vrai que cela a marqué Saint Laurent. Mais l’orpaillage a déterminé le mode de vie des guyanais et a changé les mentalités.