Il faut savoir que mon père était dentiste et à l’âge de 19-20 ans, ayant obtenu l’autorisation de différer mon entrée à l’armée, je suis parti pour des études de prothésiste dentaire à Lyon et je suis revenu exercer mon métier, ici, à St Laurent. Et, bien sûr, comme tout le monde, j’ai dû rentrer ensuite à l’armée.
Propriétaire de l’unique cinéma à St Laurent, pouvez-vous nous raconter vos débuts ?
J’ai débuté en 1973.
Au départ, c’était pour des raisons économiques et personnelles.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’ouvrir une salle de cinéma ?
Déjà, j’aime le cinéma.
Il y avait deux cinémas, à l’époque, à St Laurent, mais ils étaient assez vétustes et il aurait été difficile de les rénover.
Au moment du projet, en 1970, il n’y avait pas la télévision à St Laurent.
Elle est arrivée en 1973, je crois !
Il y avait Soombaar et Grenadin. C’était une sorte de cinémas de quartier, en plein air, mais qui remplissaient bien leur mission.
Vous rappelez-vous du premier film que vous avez vu ?
Le tout premier, peut-être pas !
Mais les films qui étaient à la mode, c’étaient les Westerns spaghettis, et les films de guerre. Ils passaient dans les deux cinémas, chez Soombaar, à la rue Montravel,
et Grenadin, à l’angle de l’avenue de Gaulle et de la rue Victor Hugo.
Ça a totalement changé, maintenant !
Oh, non ! Je lis les synopsis.
Je n’ai pas trop le choix, ce sont des films que je prends sur Cayenne, car s’ il fallait que j’en fasse venir spécialement pour moi, ça me reviendrait trop cher.
Je dépends totalement de la programmation de Cayenne, de la chaîne cinématographique Elisée dont la société-mère est en Martinique.
Y a-t-il un film qui a retenu votre attention ? Un acteur préféré ?
J’aime un peu tous les genres de film.
J’aime les anciens acteurs comme Robert de Niro, John Wayne, Charlton Eston…
On connaît les difficultés que connaît le monde cinématographique, la baisse de la fréquentation des salles, qu’en est-il à St Laurent ?
St Laurent n’échappe pas à la règle.
Avant, ça marchait, car comme je disais, en 1973 , il n’y avait pas la télévision.
Puis, des évènements importants sont venus se greffer, comme l’apparition de la télé en noir et blanc en 1976, et deux ou trois ans après, la télé couleur.
Ensuite, est arrivée la vidéo, puis les cassettes, ce qui a entraîné l’ouverture de vidéos clubs.
Il y en a eu tellement, que beaucoup ont fermé après.
Maintenant, il y a les DVD et tout le monde possède son lecteur à la maison.
Il y aussi l’insécurité, parce que les gens ont peur de sortir et de laisser leur maison vide pendant 3 heures de temps. C’est incroyable !
Enfin, il y a le piratage. On trouve des cassettes et des DVD qui se vendent à 3 ou 4 euros sur le marché.
Et, personne ne fait rien contre.
Il y a plusieurs choses à la fois.
La vente illicite de DVD dont même les vidéos clubs se plaignent. Lorsque quelqu’un loue un DVD, il le passe à ses amis ou à sa famille et ainsi de suite.
Il y a Canal satellite aussi, avec 5 à 6 films par soirée.
Une personne bien installée dans son fauteuil aura des difficultés à se lever et s’habiller pour aller au cinéma !
Avec tout ça, est-ce que l’activité est rentable ?
Il faut voir comment je travaille.
Je suis l’opérateur, le directeur, le caissier, le secrétaire, enfin, je fais tout seul.
Si je devais avoir 2 personnes avec moi, même un opérateur, je ne pourrais pas y arriver.
Je n’ai pas de salaire, ce que je gagne, je gagne. Je ne peux pas faire plus.
Un autre aurait déjà fermé, qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?
Déjà, une fermeture entraînerait quand même l’entretien de la salle.
Et, il faudrait tout de même payer la taxe foncière et professionnelle.
Il faut d’abord essayer de rentabiliser, même pas de faire des bénéfices, mais trouver un équilibre.
Il serait difficile de fermer une salle de 450 places du jour au lendemain.
Recevez-vous des aides ?
Je ne reçois aucune subvention.
Il arrive que j’aie des aides ponctuelles.
Quand il a fallu que je modernise la salle, il y a 7 ans, je me suis adressé à la DRAC.
Quant à la Mairie, elle propose des solutions en me dirigeant vers des organismes compétents dans ce domaine. Il faut savoir que la Mairie n’est pas apte à aider une boîte privée.
Maintenant, mon projecteur arrive à son point de saturation, j’ai de nouveau fait appel à la DRAC.
J’ai reçu leur accord et j’espère me faire rembourser quand je leur présenterai la facture, car ils ont décidé de me l’offrir.
Je pense que pour le mois de février, il sera installé.
La relève sera t-elle assurée ?
Ça va peut-être étonner les gens, mais je n’y connaissais rien, j’ai tout appris seul et depuis 1973, je n’ai pas réussi à former quelqu’un.
Il y a des jeunes qui veulent, ils viennent deux jours et après disparaissent.
Ce qui les intéresse, c’est de venir le soir et de voir un film gratuitement.
Venir 1 mois pour voir comment ça se passe, je n’en ai jamais vu, pourtant, il y en a beaucoup qui me demandent.
Vu le côté financier et rentabilité de l’affaire, je ne pourrais pas proposer à mon fils de me succéder. Il ne s’en sortirait pas.
C’est pour ces raisons que je ne le propose à aucun de mes enfants.
Moi, je continue parce que j’y suis déjà, mais je mets au défi quelqu’un d’avoir un cinéma en partant de zéro. C’est impossible.
Il vaut mieux monter un immeuble et louer des studios.
Depuis l’ouverture de la salle de cinéma, la ville a évolué, quels sont les grands changements que vous avez pu remarquer au niveau de votre activité ?
La fréquentation a changé.
Au début, la moyenne était de 40 ans, mais maintenant, elle est de 25 ans.
Ce sont plutôt les jeunes qui viennent. C’est une clientèle tout à fait différente.
Peut-être que les plus âgées sont amenés à rester chez eux, tandis que pour les jeunes, c’est l’occasion de rencontrer leurs copains et d’emmener leur petite copine.
Je crois qu’a 40-45 ans, on devient plus casanier à St Laurent.
Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?
Depuis 1973, je pense que j’ai déjà donné.
Ça fait maintenant 32 ans et j’aspire à diminuer, surtout le travail de nuit.
Rentrer à 23 heures chez moi, surtout avec les risques que cela comporte (je me suis fait attaquer déjà 3 ou 4 fois !).
Le repreneur, car j’en ai un, mais je ne dirai pas son nom, car il préfère rester dans l’anonymat, est d’accord pour continuer l’activité.
Avec l’accord de la DRAC pour l’achat du nouveau projecteur, il commencera avec du matériel tout neuf.
Je me suis proposé de rester 6 mois avec eux, le temps nécessaire de les former.
J’avais eu deux propositions, mais j’ai opté pour l’option cinéma.
Auriez-vous un message pour la population saint-laurentaise ?
J’aimerais dire à la population, ils vont penser que c’est pour l’argent, mais je leur demande de venir plus souvent et surtout en famille. Je vois aux Etats-Unis, ils y vont en famille.
S’il n’y pas de spectateurs, il n’y a pas de cinéma. Le manque s’en ferait sentir, j’en suis sûr !
Regardez, à part Cayenne, Kourou et St Laurent, il n’y a plus de cinéma dans les communes. J’espère que ce ne sera pas le cas pour notre commune.
Vous savez, à mon âge, le but n’est pas le gain d’argent et je souhaiterais que l’activité cinéma puisse continuer encore longtemps.